Dans la foulée du déploiement du Plan Mathématiques dans le 1er degré, et suite au rapport Villani-Torrossian de 2018, le ministère déploie son volet « collège » à cette rentrée, alors même que, dans le 1er degré, la mise en œuvre des préconisations, et notamment le déploiement des « constellations » comme modalités de formation y peine à convaincre. Jusqu’à l’Inspection générale, dont le rapport de juin dernier sur le sujet montrait les limites, notamment financières et humaines, mais aussi en termes de retours concrets de ce dispositif.
Le site Eduscol, qui présente les outils mis en place dans le cadre de ce plan, a été mis à jour plus complètement durant l’été. Ce qui y figure est inquiétant pour nos libertés pédagogiques, le modèle de l’enseignant-concepteur, et le modèle de collège qui se dessine en creux.

Un « Plan Mathématiques » qui patine dans le 1er degré

Le rapport de l’inspection générale dressait, en juin dernier, un bilan très mitigé du déploiement du « Plan Mathématiques » dans le 1er degré : il avait pointé, bien au-delà de l’impact de la période Covid, la difficulté à faire vivre concrètement le volet « formation » des enseignant.e.s., qui se heurte à des contraintes humaines fortes (manque de personnels formateurs susceptibles d’animer les réseaux de formation en « constellations ») et budgétaires (nécessité de revaloriser les fonctions de formateurs et animateurs de réseaux, et frais de déplacement).
Cela n’entame pourtant en rien la volonté du ministère de déployer ce « Plan Mathématiques » au collège dès cette rentrée…

Un ensemble de documents de natures diverses

On retrouve ainsi sur les pages Eduscol consacrée à ce Plan, pêle-mêle : des guides (sur la résolution de problèmes, la trace écrite, les pratiques orales, les automatismes), une grille de positionnement des manuels, etc.) ; des kits de communication (à destination des équipes pour populariser la discipline, mais aussi aux élèves, pour lutter contre les discriminations de genre et les représentations erronées) ; la promotion des « Laboratoires de mathématiques » dans une perspective fortement cadrée. Le tout en insistant sur les multiples évaluations : en Sixième, en début de Seconde et, nouveauté, en fin de Quatrième, et en donnant des grilles de positionnement en Troisème et Seconde ! Ces tests qui ont pour objectif d’identifier les acquis et les besoins des élèves ont peut-être une chance d’être utile en début d’année, si un retour exploitable vers les collègues est produit rapidement. En fin d’année, en revanche, il n’est évidemment pas utile de rajouter encore des tests de positionnement des élèves dont on connaît déjà les résultats : ces tests seront donc avant tout un outil de pilotage des établissements – et de leurs équipes – sur le territoire local (bassin, académie) et national. Leur multiplication à tous les stades de la scolarité, et tout particulièrement au collège, en dit long sur la volonté de contrôle du ministère.
Le document le plus emblématique y figurant est le guide du pilotage pédagogique à destination des chefs d’établissement, spécifiquement destiné aux personnels de direction.

La défiance, la base de tout …

A travers ce guide, pointent dans plusieurs passages, au détour d’une phrase, les signes de la défiance que l’institution entretient envers les collègues de mathématiques : responsabilité d’une mauvaise image des mathématiques lors de la transition du primaire au collège, professionnalité mise en doute ou en tout cas devant être questionnée et contrôlée, doute sur la capacité à mettre en œuvre une différentiation pédagogique, en son des exemples.
De là à laisser penser que les collègues sont personnellement responsables de la situation, et notamment des mauvais résultats à PISA, il n’y a qu’un pas. Mais, sans surprise, nulle part n’est interrogée la diminution du nombre d’heures de mathématiques allouées aux élèves depuis plus de 30 ans. Nulle part n’est questionnée la hausse continue des effectifs par classe, ou la disparition, quasi-généralisée de la possibilité de dédoubler les classes. Nulle remise en cause non plus des programmes, de leurs lourdeurs, de leurs injonctions à courir plusieurs objectifs simultanément, notamment en matière informatique et numérique (programmation, compétences numériques génériques validées par PIX, etc.). Non, visiblement, le problème, ce sont les collègues et leurs pratiques …
En 8 fiches constituant ce guide, le ministère entend se donner les moyens d’un pilotage fort des pratiques pédagogiques en collège, en donnant aux personnels de direction des attributions largement nouvelles et surtout qui vont très loin.

Verbatim, Fiche 1 :
(…) il est essentiel de s’appuyer sur une continuité rassurante des apprentissages [à l’entrée au collège] et de leurs modalités pédagogiques, notamment en mathématiques. Ce continuum contribue à conserver au collège l’image positive de la discipline et le plaisir des élèves à sa pratique.

Verbatim, Fiche 3 :
L’IA-IPR doit disposer de différentes données (nombre d’enseignants engagés dans Devoirs faits, Référent numérique…) pour élargir le regard au-delà de la discipline et avoir une vision complète de la professionnalité de l’équipe de mathématiques.

Verbatim, Fiche 5 :
Aucun élève n’apprend de la même manière et au même rythme, mais tous doivent acquérir des connaissances et des compétences et progresser dans leurs acquis et leurs apprentissages. Les enseignants doivent donc être en mesure d’identifier les écarts entre les élèves et d’adapter leurs pratiques aux rythmes d’apprentissage de chacun, c’est-à-dire de mettre en oeuvre, dans leurs classes, la différenciation pédagogique.

« Plan Mathématiques – Ressources pour le pilotage »

Le chef d’établissement, un IPR comme les autres ?

Le chef d’établissement, un IPR comme les autres ?
Les fiches 3 et 4 tendent à la transformation du chef d’établissement en auxiliaire de l’IPR, qui en deviennent les missi dominici. Il doit, au-delà du renforcement du lien avec l’IPR, acquérir des compétences le rendant désormais apte à juger des pratiques pédagogiques de l’équipe et des collègues de mathématiques, au moyen des conseils prodigués, notamment dans la fiche 4. Il est ainsi prévu de donner une légitimité nouvelle en matière pédagogique à un personnel qui en est largement dépourvu, et pour cause !

Verbatim, Fiche 3 :
L’expertise disciplinaire de l’IA-IPR de mathématiques lui apporte une légitimité que les enseignants n’accordent pas de la même manière au chef d’établissement. Pourtant, au quotidien, c’est ce dernier qui contribue à la réflexion pédagogique des enseignants nécessaire à l’amélioration continue de leurs pratiques. Pour lui donner de la légitimité et du sens, la co-observation de séances, lors des inspections, permet un échange entre le chef d’établissement et l’inspecteur sur les clés d’analyse des pratiques de classe des enseignants de mathématiques de son établissement. C’est un travail qui peut aussi être mené dans des groupes de travail en bassin ou par des échanges téléphoniques.

« Plan Mathématiques – Ressources pour le pilotage »

La Fiche 4 va plus loin encore, et définit, « Plusieurs observables [qui] peuvent être mobilisés pour acculturer le chef d’établissement aux enjeux portés par l’enseignement des mathématiques ». Ces observables sont listés et détaillés longuement, au point de devenir la liste des prescriptions officielles permettant à un chef d’établissement – le plus souvent non spécialiste des mathématiques et de leur enseignement – d’identifier ce qu’est « un bon cours de mathématiques » et un « bon professeur de mathématiques ». Il s’agit bien d’un premier pas vers l’instauration d’une pédagogie officielle, dont la mise en œuvre est censée être contrôlable au quotidien et en proximité immédiate par une autorité locale, par ailleurs pas du tout au fait des difficultés vécues par les collègues dans les classes.

Risque accru d’imposition des pratiques

A la lecture de la fiche 4 (voir les extraits significatifs), on ne peut que constater l’ampleur des éléments soumis à l’observation du chef d’établissement :

  • sa piste 2 (« repérer la place et la forme de la trace écrite ») normalise totalement la trace écrite attendue ;
  • sa piste 3 (« reconnaître les différents modes pratiqués pour la différenciation pédagogique ») remet au centre l’injonction à la différentiation, sans jamais poser la question de sa mise en oeuvre contrainte par la diversité de plus en plus grande des élèves, leur nombre dans la classe, etc ;
  • sa piste 4 (« analyser l’organisation du travail des élèves ») dresse une première liste des « points de contrôle » que peut opérer le chef d’établissement sur les gestes professionnels des collègues en matière d’activités proposées aux élèves ;
  • la piste 5 (« appréhender les différents types d’activités ») complète la précédente en listant les diverses activités possibles (sous-entendu : attendues) avec les élèves ;
  • la piste 6 (« intégrer la place des outils numériques ») institue un contrôle de l’usage des outils numériques mis à disposition dans l’établissement ;
  • la piste 7 (« comprendre ce que signifie “Faire le programme” ») vise à légitimer un personnel de direction non-spécialiste de l’enseignement des mathématiques dans sa capacité à juger la conformité au programme de la pratique pédagogique d’un collègue.

L’ensemble fournit donc une liste impressionnante de moyens de contrôle – et de pression – au chef d’établissement sur les pratiques enseignantes individuelles et d’équipe …
Le rêve du « kit de premier pédagogue de l’établissement » revendiqué par certains se concrétiserait-il avec ce Plan ? C’est en tout cas une très sérieuse attaque envers la liberté pédagogique des équipes, et une très forte pression exercée sur les collègues au travers d’un inventaire détaillé des contraintes à satisfaire. Entre le modèle de la liberté pédagogique et le modèle de Contrôle Qualité normalisé type AFNOR, le ministère semble avoir fait un choix clair… au détriment des collègues, qui ne manqueront pas d’être encore davantage pris dans des « injonctions à faire » difficilement réalisables en totalité, et à l’opposé d’un métier de concepteur libre et éclairé que nous revendiquons. Les risques sur la santé des personnels sont également bien réels, ceux de la déqualification du métier, parfaitement tangibles.

Ecole du socle, caporalisation, le retour des vielles lunes ?

La parution des fiches de pilotage du « Plan Mathématiques » en collège s’accompagne de la réactivation de nombre de dispositifs et mesures contestées par les collègues depuis des années, et de l’introduction de nouvelles formes de pression : présence accrue du chef d’établissement au sein du conseil d’enseignement, réuni plus souvent ; conseil pédagogique ; appui sur le conseil école-collège, et mise en place en son sein d’une sous-commission spécifique aux questions d’enseignement des mathématiques, courant depuis le preimaire sur tout le cycle 4 ; analyse inter-degré des évaluations nationales, échanges d’élèves et d’enseignants en inter-degré ; reprise et prolongement des méthodes pédagogiques du 1er degré ; lettre de missions pour le coordonnateur de l’équipe de mathématiques ; participation à « Devoirs faits » et « mise en place de tous les dispositifs prévus en vue de répondre aux besoins individuels des élèves » (Fiche 5) – nécessitant le plus souvent une implication supplémentaire des collègues ; etc.

Evaluationite aïgue

Le fond de la démarche du « Plan Mathématiques » est sous-tendu par la recherche de la « performance » mesurées à la fois dans le cadre des évaluations nationales existantes (plus celle rajoutée en fin de Quatrième), outils de positionnement des élèves de Troisième et Seconde et enquêtes internationales, type PISA. Nulle mention de la capacité d’expertise propres des collègues dans l’évaluation des élèves : le danger du « teach to test » – dont les exemples anglo-saxons sont largement montré les dérives et l’inefficacité dans la construction de connaissances émancipatrices pour les élèves – est donc largement installé le Plan ; il est même dans la fiche 7 revendiqué comme fournissant « des arguments déterminants pour convaincre l’équipe de la nécessité de certaines évolutions »…

Le laboratoire-miracle

Le guide Eduscol propose enfin quasi-systématiquement le remède-miracle aux difficultés, non pas des élèves, mais donc, des professeurs insuffisamment experts aux yeux des concepteurs du « Plan Mathématiques » : le « Laboratoire de Mathématiques », cité comme piste à suivre à 20 reprises en 29 pages du guide de pilotage, couverture comprise… Et le site offre toutes les ressources pour en implanter un, communiquer autour, etc.
Il n’y a à ce jour pas de bilan officiel des premiers « Laboratoires de Mathématiques » mis en place sur le territoire, même si leur déploiement en académie reste pour le moment limité (279 en France métropolitaine, 15 dans les DROM, 20 dans le réseau AEFE). Le SNES-FSU est disponible pour un bilan sur le sujet, notamment à partir du retour des académies : ce projet peut avoir du sens, mais il doit éviter l’écueil de l’encadrement des pratiques comme celui de la constitution d’une doxa pédagogique, et être axé sur des questionnements pédagogiques répondant aux besoins rencontrés et formalisés par les praticiens de terrain. Une démarche verticale et descendante n’aurait aucun sens : pour le SNES-FSU, le modèle à reconstruire doit se rapprocher de celui des IREM. Cela passe par une intégration, sous une forme ou une autre, de l’investissement des collègues qui le souhaitent dans ce type de dispositif, dans le cadre de leur service (décharge de service, prise en compte dans le cadre de la formation continue désormais obligatoire, etc.). Ce n’est pourtant pas le chemin que semble prendre ce dispositif dans le cadre du déploiement du « Plan Mathématiques » au collège, où ces « Laboratoires » semblent être une extension des « Constellations » du 1er degré, qui y contestées par les collègues pour leur cadre de plus en plus prescriptif (cf la position du SNUipp-FSU).