D’après l’enquête du SNES-FSU, près de 2/3 des collèges ne mettent pas en place les groupes de niveau tels que les avait imaginés l’ex-ministre de l’Éducation nationale Gabriel Attal. Les configurations sont tellement nombreuses qu’il est particulièrement difficile de s’y retrouver. Le « Choc des savoirs » n’est pas simplement une entreprise de destruction du collège pour tous et toutes, c’est une aussi une machine de guerre tournée contre les personnels.

La série d’articles qui débute ici a pour objet de rendre compte concrètement du vécu de la mise en place du « Choc des savoirs » pour les collègues des disciplines concernées par les regroupements d’élèves. Elle illustre la façon dont celle-ci questionne et heurte les pratiques et les identités professionnelles de nos collègues, en particulier de français qui ont été plus nombreuses à témoigner (7 collèges, dans 4 départements de 3 académies). Elle doit aussi permettre aux professionnel·les de se détacher des tentatives de culpabilisation par accusations de ne pas en faire assez, d’être rétifs et rétives au changement ou d’être insuffisant·es. Par leur concordance, et le fait que beaucoup y reconnaissent leur vécu, les témoignages démontrent que la réforme attaque chez les enseignant·es la perception de leur utilité sociale, leur autonomie, leur capacité à développer leur travail et la valeur qu’ils et elles lui attribuent. Ce tour d’horizon est d’autant plus important que le ministère a rappelé son souhait de ne pas détricoter le « Choc des savoirs » , qu’il fallait encore se donner le temps du bilan et qu’il y avait du positif dans la mise en place des groupes de niveau.


Classe entière, groupes de besoins : une mise en en place chaotique et disparate.

Dans certains collèges, le choix a été fait de fonctionner en classe entière jusqu’aux vacances d’automne ; C’est le cas dans ce collège de la Somme accueillant une « population à la fois urbaine et rurale et de milieux sociaux très divers ». Ici « la mise en place des groupes de niveaux n’aura lieu qu’après les vacances ». On se souvient en effet que la note de service du 15 mars 2024 prévoit, « par dérogation » à l’organisation générale, que les élèves puissent « être regroupés conformément à leur classe de référence, pour une ou plusieurs périodes, sur une à dix semaines dans l’année ».

Il en va de même dans ce collège du sud-ouest qui a choisi de maintenir les classes entières pour le niveau Sixième, au moins jusqu’aux vacances :

«Nous avons fait le choix de laisser les élèves en classes entières, en français et en mathématiques, jusqu’aux vacances de la Toussaint, le temps de connaître nos élèves et de faire passer les fameuses évaluations nationales. Nous avons trois classes de 19/20 élèves avec des effectifs réduits donc. Les élèves seront ensuite répartis sur la base de quatre groupes, sur le principe de groupes hétérogènes, identiques en français et mathématiques.

Toujours dans ce collège, les collègues ont mis en place, dès la rentrée, des groupes hétérogènes pour le niveau Cinquième :

« Pour le niveau 5ème, dès les réunions de fin juin 2024, nous avons décidé d’un commun accord avec les collègues de mathématiques de ne pas faire de « groupes de niveau » mais des groupes hétérogènes, identiques sur toute l’année scolaire », souligne cette collègue de français. « Nous avons deux classes, donc trois groupes de 19-20 élèves, et chacune d’entre nous construit sa progression de son côté ».

La mise en place des groupes est donc loin de correspondre aux attentes du ministère, comme le rappelle cette collègue de français d’un autre établissement du nord de la France :

« Dans mon établissement, nous avons mis en place des groupes qui ne sont ni complètement homogènes ni totalement hétérogènes. Dans l’ensemble on peut distinguer des groupes de Bons-Moyens et des groupes de Moyens-Faibles. Dans le collège il y a quatre groupes de français/maths pour 4 classes de 6e, donc sans aucune baisse d’effectifs. Il n’en va pas de même pour les 5 classes de 5ème pour lesquelles nous disposons de six groupes ».

À rebours de la propagande ministérielle, la mise en place de ces groupes ne se fait donc pas toujours dans le cadre d’effectifs allégés (ce dont on s’était un peu douté). La note de service de mars 2024 le rappelle pourtant : « Les groupes qui comportent un nombre important d’élèves en difficulté sont en effectifs réduits, le nombre d’une quinzaine d’élèves pouvant, à cet égard, constituer un objectif pertinent ». La mise en place de ces groupes s’est accompagnée d’une disparition de certains dispositifs comme l’accompagnement personnalisé en français et en mathématiques.

« Dans mon établissement, par rapport aux années précédentes, les professeurs de français perdent 0,5 heure prof ou 1heure prof pour chaque classe parce qu’auparavant, nous prenions chacune de nos classes 1h quinzaine ou 1h semaine en demi-groupe en AP »,relève cette collègue de français.

Aux dires de nombreuses et nombreux collègues, la mise en place du « Choc des savoirs » ne s’est pas vraiment accompagnée d’un choc des moyens. Dans un collège REP + du sud-ouest le « Choc des savoirs » a nécessité de :

« prendre énormément d’heures sur la DGH, vu que l’on nous a seulement dotés pour 1 groupe en 5eme et qu’on a dû en financer, sur fonds propres, 2 en 6eme et 2 en 5eme… »

Le « Choc des savoirs » est donc très gourmand en moyens si l’on veut mettre en place des groupes à effectifs réduits.

L’abandon ou la disparition de ces dispositifs ne s’accompagnent pas forcément d’une montée en qualité du travail accompli par les collègues dans les groupes de niveau. Aux yeux de certain·es, les élèves semblent « perdus » et il est difficile d’instaurer une cohésion en ce début d’année. Certain·es collègues font état d’un véritable désarroi quant au groupe des « moyens-faibles » comme elles et ils les appellent parfois. C’est le cas de cette collègue de l’est de la France :

« Ensuite, d’un point de vue pédagogique, le groupe moyens-faibles concentre à lui seul : élèves qui devraient être en Segpa, TDAH, PAP, gamins avec soucis persos qui vont régulièrement au CMPP, élèves allophones, … Ce qui donne une forme d’entre-soi délétère, qui ne les tire pas vers le haut. En bref, on creuse encore davantage les inégalités. Quant à ma collègue, vu la fatigue et le stress que ça occasionne, sa sage-femme songe déjà à l’arrêter ».

Le « Choc des savoirs » et les groupes de niveau impacte aussi localement les AESH et la qualité du suivi qu’elles peuvent (ou pas) assurer… Certain·es collègues tentent d’atténuer les effets de la réforme sur leurs conditions de travail en utilisant les groupes pour accueillir des contractuel·les de 1ere année ou des stagiaires. Dans un établissement un groupe de français accueille 2 ou 3 élèves non-lecteurs qui sont extraits des classes pour apprendre à lire.

Il arrive que les listes des élèves sur Pronote ne soient pas complètement stabilisées à l’image de la situation décrite par cette enseignante dans ce collège du sud-ouest qui relève des :

« problèmes pronote en pagaille. Nous nous étions réparti les groupes (…). Nous avions fait le choix d’avoir 3 groupes hétérogènes à 25 max et un groupe faible à 11 mais rien ne s’est passé facilement. Les groupes n’étaient pas les bons sur pronote, que ce soit les listes d’élèves ou les appariements élèves/enseignants et donc pas les bonnes salles non plus. Nous avons passé 10 jours à faire le tour de l’établissement pour récupérer “nos” élèves. Le principal est venu nous voir pour nous faire un rappel à l’ordre, nous n’avons pas le droit de faire du tri dans les élèves et il faut prendre ceux qui nous sont affectés sur pronote, même si les listes sont fausses. Le premier jour, je me suis retrouvée avec 38 élèves au lieu des 11 du petit groupe que je devais avoir ».

On ne peut qu’être frappé par le chaos qui peut être généré par la réforme et l’impression générale d’un travail empêché, des collègues passant l’essentiel de leur temps à chercher leurs élèves, voire à faire le travail qui revient généralement à la direction :

« Une collègue est en arrêt maladie depuis la rentrée, elle n’est pas remplacée sauf en interne mais pas sur toutes ses heures. En début d’année, il a fallu systématiquement envoyer ses élèves en étude et justifier que les listes pronote étaient fausses pour pouvoir commencer à travailler chacun avec son groupe. Nous avons passé deux demi-journées à refaire les listes en pointant élève par élève toutes les erreurs pour retransmettre des listes au personnel de direction pour que les groupes soient enfin conformes aux listes des enseignants (nous avions fait les groupes en amont) ».

En l’absence de stabilisation des listes, les élèves se retrouvent parfois avec des devoirs à faire, donnés par un·e enseignant·e qu’elles et ils n’ont pas….

Pire, cette réforme du collège peut aussi susciter des tensions entre les personnels et les parents d’élèves, mais surtout déboucher sur une démotivation complète des élèves :

« Lors de la réunion de rentrée avec les parents, certains parents nous ont demandé de “remplir” nos groupes avec les élèves dont l’enseignante est absente (…). Suite à tous ces problèmes administratifs et ces flottements, les groupes de 5° qui devaient être plus faciles à gérer sont devenus compliqués. À force de passer les 15 voire 20 premières minutes de chaque heure à tenter de faire l’appel, ils se sont mis à ne plus vouloir travailler. Il a fallu remettre les choses au clair pour pouvoir instaurer une ambiance de travail qui aurait dû être évidente sans ces groupes (les élèves étaient motivés les premiers jours, lassés au bout de 2 semaines de flottement).

 

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