D’interventions en interventions, on peine à suivre les arabesques géométriques de la pensée complexe de M. Blanquer. Difficile, non, impossible de vous informer sur les examens comme nous le souhaiterions, alors voilà, à la place, la liste des contradictions qui peuvent choquer ou faire grincer des dents.

Des questions, toujours des questions…

Au sujet du DNB, beaucoup de questions demeurent..

Pour les « épreuves communes de contrôle continu » (c’était déjà un oxymore ça, non ?) :

– Pourquoi générer des notes d’E3C2 alors qu’il n’y aura pas d’épreuve? Un professeur de maths peut-il expliquer au ministre que générer une note qui est la moyenne des E3C1 et E3C3 revient à juste ne pas mettre de note? De manière tout aussi fantaisiste, les épreuves d’E3C1 devront être organisées le plus rapidement possible là où elles n’ont pas pu se dérouler, particulièrement dans des lycées en Île-de-France et dans les territoires ultramarins.

– Pour l’épreuve de spécialité abandonnée, comment ne tenir compte que des notes annuelles quand on est censé noter avec bienveillance, et alors que ces notes ont été pour des devoirs “communs” aux élèves la continuant et aux élèves l’abandonnant ? La note d’E3C (coef 5/100) ne concerne que les abandonnants, ceux souvent qui ont eu des difficultés tout au long de l’année dans cette discipline (comme les mathématiques) et à qui nous aurions pu proposer une épreuve aux attendus adaptés.

Pour des oraux de Français :

– « Pourquoi nous ? », se disent légitimement les collègues de Lettres.

– Comment continuer de préparer les élèves quand ils ne peuvent plus se fournir les livres ?

– En cas de reprise en mai, faudra-t-il faire bachoter les élèves en quelques semaines sur la préparation des oraux au risque de leur faire perdre goût pour la littérature ?

– Comment garantir la sécurité du professeur et des 15 élèves par jour d’examen ? Comment nouer un dialogue littéraire, masqué (bon d’accord, certaines émissions de radio y parviennent) et d’un bout à l’autre d’une salle ?

– La situation d’examen, et particulièrement celle d’examen oral est habituellement stressante pour les candidats : comment penser une seconde qu’elle ne le sera pas davantage dans ces circonstances ? La bienveillance dont nous sommes supposés faire preuve est-elle démontrée lorsque nous contraignons des élèves à passer une épreuve en craignant pour leur santé et celle de leurs proches ?

– Où se dérouleront les épreuves ? Comment avoir des garanties sur la sécurité de chaque centre d’examen avant de s’y déplacer ? Où loger pendant ces journées quand les hôtels sont fermés jusqu’au 15 juillet ?

Pour les Terminales :

– Chacun aura compris que les circonstances exceptionnelles ont conduit à des choix exceptionnels, dont celui de se servir du contrôle continu. Il s’agit bien d’une solution de dernier recours. En aucun cas, cela ne doit être la reconnaissance de « vertus éventuelles» du contrôle continu si cher au cœur du ministre Blanquer. Nous continuons de demander le retrait de la réforme du baccalauréat tant nous mesurons les injustices que cette réforme porte. Pas sûr d’ailleurs que les jurys prévus parviennent à les corriger ..

– Si nous reprenons en mai ou juin, comment bien accompagner les élèves en difficultés qui auront à préparer leurs oraux de rattrapage avec une trentaine d’élèves dans la salle qui eux auront validé leur examen et ne seront là que pour répondre à l’injonction renforcée d’assiduité?

– Si nous sommes confinés jusqu’aux oraux, comment pourrons-nous accompagner les élèves en difficulté alors que le ministre reconnaît que ce sont aussi les élèves ayant l’accès le plus difficile aux outils numériques et les conditions de travail les moins sereines?

Pour les BTS :

  • Comment donner du sens à une validation sur les notes du premier semestre alors que ce ne sont pas les mêmes contenus pédagogiques que l’on travaille au second ?

  • En fonction de leur période de stage, allons-nous revoir nos élèves au retour en mai ?

Pour les CPGE, toujours aucune information qui puisse rassurer les candidats et orienter la préparation par les collègues…

Concours de l’enseignement : à géométrie variable…

Les candidats aux concours de l’enseignement ont eu confirmation hier que pour les concours qui n’ont pas encore commencé, on s’en tiendrait exceptionnellement aux écrits, avec un oral en fin d’année de stage; pour les candidats qui auraient passé un écrit de l’externe déjà (un certain nombre d’agrégations surtout), un oral se tiendrait en juin/juillet (y compris par visioconférence lorsque cela est possible!) sauf pour les candidats de l’interne qui passeraient cet oral d’admission en septembre. On voit déjà tout ce que cette organisation soulève de problèmes ! Quel contenu pour un oral qui se déroulerait un an après l’admissibilité alors même que l’année de stage est épuisante déjà ? Quelles conditions de préparation pour des candidats qui auront à mener un oral d’admission alors qu’ils seront au tout début de la prise en charge de classes ?

Pourtant, là où on cultive du flou…

Malheureusement à force de scruter ces gribouillis ministériels, on voit quand même un projet d’ensemble se dessiner.

L’une des premières décisions est d’annuler les épreuves finales avant même de connaître la durée du confinement. Comme pour la réforme du lycée, ce goût pour le contrôle continu est une ligne de force, une perspective du projet de ce gouvernement pour le Bac.

L’appui sur l’oral et l’assiduité, c’est-à-dire des savoirs-être plus que des savoirs ou des savoirs-faire est une autre ligne de fuite de ce gouvernement. En valorisant explicitement des savoirs non scolaires au sein d’épreuves scolaires, elle a au moins le mérite de la clarté, mettant à jour des mécanismes à même de renforcer des inégalités sociales déjà imparfaitement gommées par le système éducatif. Le fait que cette orientation soit désormais assumée et reçoive l’aval institutionnel est extrêmement préoccupant.

Enfin, la mise en avant de préoccupations quant aux inégalités alors même que l’ensemble des décisions les renforcent devient la touche finale de l’ensemble. Il y a la même méconnaissance des conditions de vie de nos élèves quand on leur demande de lire des livres-papier en plein confinement ou quand on leur demande de faire des choix de parcours d’orientation de plus en plus tôt. Tous n’ont pas le même accès au monde. Le vernis social du tableau final ne masque pas les imperfections libérales de l’ensemble.

De la réforme du lycée à la gestion de cette crise sanitaire, un même déni de la réalité pourtant maintes fois rapportée par les agents, un même refus de faire des services publics le capital de ceux qui n’en ont pas, une même priorité accordée aux forces du Marché sur les enjeux éducatifs et sanitaires. Désespérant de cohérence, le gouvernement ne fait que suivre le même projet bien loin de celui de l’école républicaine que nous défendons. En construisant par ses décisions, dans cette période de crise qui appelle à l’unité, une société polarisée entre un monde des premiers de cordée avec ses cliniques, ses lycées au bac « local » reconnu par les grands établissements du supérieur et un monde de « ceux qui ne sont rien » privé de moyens éducatifs, de moyens sanitaires et d’un accès à la culture extra-scolaire désormais ouvertement évaluée, ce gouvernement aura au moins eu le mérite de nous donner « un cap et une vision » à combattre dans l’action.