Les textes de référence du métier (référentiel de compétence de 2013 et circulaire de missions de 2015) font l’objet d’un déni institutionnel et sont mis en cause par des réformes et des pratiques de gestion qui mettent en tension le cœur du métier et le menacent. La réforme de la formation initiale impulsée au pas de charge par le ministère en est un nouvel exemple. Le projet de texte de cadrage du master Métiers de l’enseignement et de l’éducation (M2e) mention « conseillers principaux d’éducation » est une réécriture de la circulaire de missions qui ne dit pas son nom.

Le ministère entend appliquer à marche forcée dès la rentrée 2026 un recrutement des futur·es professeur·es et CPE durant l’année de licence 3, réduisant de moitié la formation universitaire de bac+5 aujourd’hui à bac+2,5 demain. Les futurs textes de cadrage des Master Métiers de l’enseignement et de l’éducation (M2e), enfin communiqués, remettent en question la place de l’université et donc de la recherche dans la formation initiale des lauréat·es. Ces premiers documents laissent envisager une mainmise de l’employeur sur leurs contenus de formation et leur pilotage, afin de mieux répondre aux « attentes de l’institution ». Les lauréat·es ne seraient donc plus considéré·es comme des cadres de catégorie A aptes à être concepteurs et conceptrices de leur métier. Le métier de CPE n’échappe pas à ce travail de sape.
Lors du groupe de travail du jeudi 15 mai le SNES-FSU a dénoncé la vision managériale du M2e mention CPE présenté par le ministère ainsi que sa volonté de réorienter le métier. C’est sur le sens du métier et de l’action éducative et pédagogique que le SNES-FSU a argumenté.

Un texte qui réoriente le métier de CPE et l’enferme dans une dimension managériale.
Le texte de cadrage à destination des universitaires en charge de la construction de la future formation des stagiaires CPE se compose de cinq parties : une partie introductive précisant les principes de la formation et quatre blocs mentionnant pour chacun les contenus. Il s’agit pour le bloc 1 de « piloter l’équipe vie scolaire pour accompagner le parcours de l’élève dans un climat qui contribue au bien-être dans l’établissement, à la sécurité et à la qualité des apprentissages » ; pour le bloc 2 « d’adapter sa pratique professionnelle à la diversité des élèves et au contexte d’exercice pour viser la réussite des élèves » ; pour le bloc 3 « d’agir dans le cadre des principes du service public d’éducation » et pour le bloc 4 «de « s’engager dans une démarche de développement professionnel ». La formation universitaire comprendrait 780 heures réparties sur les deux années de Master, 530 h en M1 ainsi que 12 semaines de stage en observation et 250h en M2 auxquelles s’ajoutent un stage en responsabilité à mi-temps. Les blocs 1 et 2 constitueraient chacun 31,5 % du volume de la formation soit 250 heures par bloc contre 24,5 % pour le bloc 3 (200 h) et 12,5 % pour le bloc 4 (80h).
Sont également annoncés par le ministère, à la suite des textes de cadrage des futurs Masters, les référentiels de formation des enseignants et des CPE, celui des CPE étant encore en cours d’élaboration.
Dès le paragraphe introductif, « organisation de la formation », le vocabulaire managérial est très prégnant. Tout au long du document il est donc question de : « pilotage de la vie scolaire », « pilotage de l’établissement », « conseiller de l’équipe de direction », « projet vie scolaire » (qui rappelons le n’a aucune existence réglementaire ), « culture de l’évaluation » avec le recours à « des indicateurs » (autrement dit l’instauration d’un pilotage de la vie scolaire par les résultats à l’instar du pilotage de l’établissement). C’est un élément clef que le ministère entend imposer au métier : « une culture de l’évaluation (…) envisagée comme principe structurant de la conception et de l’organisation de l’action éducative ».
De fait, c’est une réécriture de la circulaire qui ne dit pas son nom. Cette approche est récusée par la profession qui ne se reconnaît pas dans une fonction de manager.

La dimension éducative du métier est minorée
Or le cœur du métier de CPE est le suivi et l’accompagnement éducatif des élèves. Le suivi des élèves, individuel et collectif au sein de l’équipe pédagogique est un élément majeur. C’est sur cette double entrée pédagogique et éducative que les CPE appuient une grande part de leur expertise au service du volet éducatif du projet d’établissement.
Lorsque la dimension éducative est abordée c’est encore sous un angle managérial. Il s’agit « d’administrer » la tâche éducative en s’appuyant sur des « indicateurs » et se forger ainsi une « culture de l’évaluation ».
Le projet ministériel assigne au métier de CPE la fonction première de « pilote de la vie scolaire », d’où cette déclinaison appuyée sur l’évaluation. Certes les CPE ne sauraient concevoir leur travail sans le faire connaître des autres acteurs et actrices et sans analyser les situations qu’ils et elles rencontrent, mais il est abusif de poser le « pilotage » comme axe prioritaire ou fondateur. Les indicateurs ne doivent être que des outils au service d’une action fondamentalement éducative. On observe lors des inspections des personnels, une attente forte de l’institution sur ce point, souvent déconnectée de l’élève et de son suivi, de la construction de réponses à ses difficultés et des transformations du rapport au savoir.
Ainsi, l’encadrement de l’équipe d’AED est mis en avant de façon obsessionnelle. Ce « pilotage de l’équipe vie scolaire » est présenté comme l’élément clef pour : « accompagner le parcours des élèves », « travailler à un climat scolaire contribuant au bien être dans l’établissement et à la qualité des apprentissages».
Rien d’étonnant car il est significatif que le recrutement local des équipes de surveillance, imposé par la transformation des MI-SE en AED en 2003, a été présenté comme l’illustration type du « CPE manager ». Lors d’inspections, la thématique que les IPR-EVS entendent évaluer porte très régulièrement « sur le management de l’équipe vie scolaire ». Cette thématique se décline également très largement dans les plans académiques de formation continue.

Un.e CPE positionné.e en tant que régulateur et régulatrice garant.e du droit dans l’établissement.
C’est une conception autre du métier de CPE, plus « techno fonctionnelle », plus diluée dans l’organisation générale de l’établissement, qui est promue et s’écarte ainsi du rapport direct à l’élève. L’accent est mis sur le niveau systémique et la recherche d’une stabilité dans l’établissement au détriment de l’approche individuelle de l’élève. Il y a là une confrontation entre la logique institutionnelle privilégiant la régulation du système (d’où sans doute la place importante accordée à la notion de climat scolaire) et la logique éducative qui travaille à l’émergence de l’autonomie et de la responsabilité.
Toujours est-il qu’il appartient de faire coexister ces deux principes d’où la complexité du métier.
Serait-ce l’explication d’un Bloc 2 (« adapter sa pratique professionnelle ») plus étoffé chez les CPE que pour les professeurs et professeurs des écoles (31,5 % du volume horaire de la formation des CPE contre 15% pour les professeur du premier et second degré) ?
Les missions des CPE sont concentrées dans le Bloc 1 sous la tutelle du « pilotage de l’équipe vie scolaire ». Le SNES-FSU a dénoncé le contenu du bloc 1 qui reste trop minoré au regard du bloc 2 alors qu’il concentre ce qui constitue le cœur du métier de CPE : le suivi de l’élève. Suivi de l’élève qui prend appui, pour le SNES-FSU, sur les savoirs spécifiques des CPE et notamment sur la connaissance globale de l’élève. C’est un point important à défendre car il constitue une des composantes de la légitimité professionnelle des CPE, cadre A, concepteur et conceptrice de leur activité.

Le SNES-FSU à l’offensive
Pour le SNES-FSU, il est inacceptable de ne retrouver à aucun moment la référence au référentiel de compétences de 2013 et à la circulaire de missions des CPE de 2015. Comment doit-on comprendre que les textes réglementaires ne soient pas cités ainsi que le statut de 1970 ? Rien également sur le.la CPE cadre A concepteur et conceptrice de son activité.
De la même façon, alors qu’il est question de « projet vie scolaire » (concept managérial qui n’a aucune existence réglementaire ), à aucun moment, il n’est fait référence à la notion de « politique éducative d’établissement » introduite par la circulaire de 2015 que le SNES-FSU a contribué à définir en reprenant le rapport Saget de 2013 et qui donne une envergure collective aux questions éducatives. Ses objectifs principaux recoupent assez bien les champs professionnels du CPE d’où notre interpellation sur une telle absence.
Pour le SNES-FSU, ce texte de cadrage n’est pas acceptable en l’état. Au côté de la FSU, il dénonce de nouveau un calendrier bien trop resserré qui ne fera que mettre la pression sur les étudiant.es et sur les formateurs et formatrices et continue à demander un moratoire de cette réforme. D’autant que pour le SNES-FSU, la formation doit être irriguée par la recherche pour permettre la construction d’une réflexion critique et plurielle sur le métier, et de s’affranchir de prétendues bonnes pratiques. La formation universitaire initiale a pour vocation de préparer au métier dans toutes ses dimensions dans le respect de l’autonomie intellectuelle de ceux et celles qui l’exerceront. Nous sommes loin du compte avec ce projet ministériel qui comme déjà souligné remet en question la place de l’université et donc de la recherche dans la formation initiale des lauréat·es.
La contribution du SNES-FSU lors des groupes de travail sur l’actualisation des missions des CPE avait été déterminante. Pour cette raison, le SNES-FSU, en vue des prochains groupes de travail est porteur de nombreux amendements (voir document ci-dessous). Ce travail d’amendements vise à introduire dans le texte de cadrage les références aux textes réglementaires et statutaires, à réaffirmer l’ambition éducative et pédagogique du métier et notamment repositionner comme prioritaire le cœur du métier qui est le suivi de l’élève, à alléger le volume des stages pour aller vers un tiers temps.
Le SNES-FSU revendique une formation initiale conduisant à une haute qualification adossée à un diplôme universitaire reconnu et conforme aux exigences des métiers du second degré. Avec cette réforme, c’est le modèle du second degré qui est attaqué et nos métiers tels que nous les défendons. Actuellement, la formation initiale est maltraitante et il faut une réforme mais pas celle imposée par le ministère. La crise de recrutement des personnels que connaît l’Éducation nationale est une crise systémique. Déplacer le concours en L3 sans penser la revalorisation sociale et salariale de nos métiers est une fausse réponse.